L’intérêt supérieur de l’enfant et le droit de visite des tiers

La Cour de cassation a rendu un arrêt le 13 juillet 2013 rappelle que les juges du fonds doivent statuer en prenant en considération l’intérêt supérieur de l’enfant notamment quand ils appliquent l’article 371-4 alinéa 2 du Code civil. Dans cette espèce, après la séparation de deux mamans, la maman « sociale » demandait la fixation d’un droit de visite et d’hébergement sur l’enfant biologique de sa compagne.

C’est aussi l’occasion pour la Cour d’étoffer les droits de l’enfant.

La Cour de Cassation dans un arrêt de sa première chambre civile rendue le 13 juillet 2017 [(n° de pourvoi 16-24084)- fait une juste application des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 371-4 du Code civil dans sa version modifiée par la loi du 17 mai 2013 ayant ouvert le mariage aux couples de même sexe, tout en spécifiant quel était l’intérêt supérieur de l’enfant.

Cet article prévoyait, avant le 13 mai 2003, que si tel était l’intérêt de l’enfant, le juge pouvait fixer les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non. Les praticiens, juges ou avocats, utilisaient déjà cet article pour faire fixer un droit de visite entre l’enfant et l’ex-compagne de sa mère biologique qui se trouvait être sa seconde maman. Il était, en effet, le plus souvent le fruit d’un projet parental, quelque soit le mode de conception. Comme les parentes ne pouvaient pas se marier, il ne pouvait pas y avoir d’adoption et l’enfant pouvait se retrouver en cas de séparation du couple, éloigné de son « parent social » selon le bon vouloir de la mère biologique, ce qui s’avérait extrêmement destructeur pour l’enfant. Cet article 371-4, sans créer de droits parentaux permettait de rétablir un lien, si tant est que le juge voulait bien considérer la demande et que le parent social avait suffisamment d’éléments à faire valoir sur la réalité des liens affectifs. C’était très important de prouver que l’enfant avait intérêt à maintenir un lien avec ce tiers, mais le juge ne pouvait apprécier ce lien que sur le plan affectif : l’enfant avait-il eu un lien ? Pendant combien de temps ? Avait-il intérêt à faire perdurer ce lien dès lors que sa maman biologique refaisait sa vie? Il pouvait être assez difficile d’évaluer ce lien si l’enfant était petit.

La loi du 17 mai 2013 a complété cet article 371-4 alinéa 2 de la façon suivante « Si tel est l’intérêt de l’enfant, je juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parents ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l’un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation et a noué avec lui des liens affectifs durables« .

On voit comment cet ajout permet de faire valoir les relations existant entre l’enfant et son beau-parent dans les familles recomposées. Le compagnon du père ou la compagne de la mère, qui se trouve dans les faits le second parent, ce que ne prétend pas être le beau-parent qui a une place à part puisque l’enfant a déjà ses deux parents, peut aussi faire valoir un maintien des relations grâce à cet article, mais la spécificité de son lien avec l’enfant n’est pas traduite, alors même que le législateur a aussi pensé à lui en légiférant.

Dans l’arrêt commenté ici un couple de mamans se sépare deux ans après la naissance de leur fille Alice, la mère biologique, réinvestissant un couple hétérosexuel, refuse que la seconde maman maintienne un lien l’enfant. La Cour de cassation considère, en l’espèce, que la Cour d’appel de Besançon, ayant bien statué dans l’intérêt supérieur de l’enfant, a fait une exacte application de l’article 371-4 du Code civil.

En constatant que l’arrêt relevait :

–  D’abord que « les parties vivaient en couple au moment de la naissance d’Alice et qu’il existait un projet parental commun au moment de la conception de l’enfant, que Madame Y avait résidé durant plus de deux ans avec Madame X et Alice, qu’elle considérait comme sa fille et qu’il existait un lien affectif durable entre elles, dont la rupture n’est due qu’au refus de Madame X de maintenir cette relation »,

– puis qu’il énonçait ensuite que « l’intérêt de l’enfant commande qu’elle ait accès aux circonstances exactes de sa conception, de sa naissance, ainsi que des premiers temps de son existence, sans que cela n’empêche une relation affective de qualité avec l’actuel compagnon de sa mère et que l’existence de relations conflictuelles entre les parties n’est pas un obstacle suffisant pour justifier le rejet de la demande formée par Madame Y alors que l’enfant est décrite comme épanouie et équilibrée alors en mesure de renouer des liens affectifs avec cette dernière »

– Et qu’enfin la demanderesse, ne sollicitant qu’un simple droit de visite adapté et progressif,  témoignait de son désir de ne pas brusquer l’enfant,  lui permettant, ainsi, de s’adapter à cette reprise des liens.

Cet arrêt est intéressant tant dans ce qu’il dit du fond de l’affaire et de ce qu’est l’intérêt de l’enfant, qu’au regard de la méthode de la Cour de Cassation qui vérifie, en premier lieu, que les juges du fonds statuent bien dans l’intérêt supérieur de l’enfant tout en les laissant l’apprécier souverainement. Ce faisant, la Cour lui donne quand même un contenu.

En s’assurant que c’est dans l’intérêt supérieur de l’enfant que la Cour d’appel a statué, la Cour de Cassation ajoute au texte de l’article 371-4 du Code civil qui dispose seulement que le juge fixera les modalités des relations de l’enfant avec ce tiers « si tel est l’intérêt de l’enfant« . Cet ajout n’est pas anodin car on sait que l’intérêt supérieur de l’enfant issu de l’article 3 de la CIDE (convention internationale des droits de l’enfant de New-York) est une notion non définie précisément par cette même convention et qu’il convient, au gré des décisions judiciaires, de spécifier. Le Comité des droits de l’enfant des nations unies justifie cette supériorité par le fait que « les enfants diffèrent des adultes par leur degré de développement physique et psychologique, ainsi que par leurs besoins affectifs et éducatifs » (Observation générale n°10, CRC/C/GC/10, 25 avril 2007, p 5). Le juge l’utilise, car, d’application directe dans notre droit, lorsque deux impératifs  juridiques doivent être pris en compte. Par exemple, le respect de l’ordre public international français qui prohibe la GPA et le droit de voir reconnaître une filiation, l’intérêt supérieur de l’enfant est alors invoqué et parfois retenu.

Pourquoi la Cour de Cassation a-t-elle invoqué ici l’intérêt supérieur de l’enfant? Pourquoi n’a-t-elle pas simplement vérifié que le juge avait bien pris en compte l’intérêt de l’enfant et fait en conséquence une stricte application de l’article 371-4 alinéa 2 du Code civil ?

Tout d’abord, il convient de relever que les juges du fond ont bien déterminé pourquoi l’enfant avait intérêt à renouer le lien avec l’ex-compagne de sa mère. Ici l’intérêt de l’enfant ne se confond pas avec la réalité des liens noués entre l’enfant et le tiers. Il faut certes les vérifier préalablement : ont-ils vécu ensemble? Y a-t-il une relation affective, voire d’ordre filial? Le tiers a-t-il non pourvu à l’entretien de l’enfant? etc… L’intérêt pour l’enfant de renouer n’est pas vraiment que la seconde mère constitue une figure d’attachement essentielle au développement affectif de l’enfant puisque les liens ont été rompus assez tôt et qu’au moment de la reprise des liens l’enfant aura certainement oublié cette figure maternelle. On pourrait même penser que cette reprise des relations serait contraire à l’intérêt de l’enfant qui s’en verrait perturbé : pourquoi renouer avec une personne que l’enfant a oublié, qui n’est plus une composante de la cellule familiale, qui va contraindre l’enfant à se séparer de sa figure maternelle d’attachement pour retrouver une autre figure maternelle alors qu’elle a également une figure paternelle présente qui possiblement reconnaîtra ou adoptera l’enfant? L’intérêt de l’enfant entendu de cette façon-là commanderait de ne pas permettre la reprise des liens.

Et c’est là que la Cour se retrouve à devoir mettre en balance  l’intérêt de l’enfant tel qu’on vient de le décrire (thèse du pourvoi) et le droit de l’enfant à connaître ses origines et les circonstances exactes de sa conception, de sa naissance et des premiers temps de son existence, en somme à son histoire, ce qui le construit (retenue par la cour). La force du projet parental prend le pas et c’est parce qu’on est, en réalité, sur le terrain de la filiation de fait de l’enfant que c’est si important et que cela prime sur l’intérêt de l’enfant immédiat. 

Le pourvoi reprochait à la Cour d’appel de n’avoir pas pris en compte l’intérêt supérieur de l’enfant en ne recherchant pas si l’enfant âgée de  5 ans, n’ayant pas revu Madame Y depuis l’âge de deux ans, ne l’avait pas oublié de sorte qu’elle avait pu devenir une étrangère pour elle et donc d’avoir violé le texte de l’article 371-4 du Code civil.

En rejetant le pourvoi, la Cour de Cassation qui considère que la Cour d’appel a bien statué en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, place donc un curseur quant à la protection et l’intégrité des enfants relativement au droit qu’ils ont de connaître leur histoire. Sans la reprise des liens, c’est une partie de leur histoire qui disparaît selon le bon vouloir des adultes.

 

Caroline Elkouby Salomon
Maître Caroline ELKOUBY SALOMON, avocat Paris 9 Avocat spécialisé en droit des personnes, de la famille et du patrimoine, Caroline ELKOUBY SALOMON a entamé sa carrière dans un grand cabinet d’avocats parisien (SCP Henri Leclerc et associés) après avoir prêté serment en 2002.25