INVOQUER LE DROIT A LA VIE PRIVEE DEVANT UN JUGE DU FOND

INVOQUER LE DROIT A LA VIE PRIVEE DEVANT UN JUGE DU FOND

Invoquer l’article 8 de la CEDH devant les juridictions nationales dans le cadre d’un contrôle de conventionalité en droit de la famille

Faire écarter une prescription ou une disposition légale qui empêche la demande de  notre client d’être accueillie favorablement, demande dont nous pressentons l’extrême injustice de ne la voir aboutir.  C’est telle disposition, telle prescription qui viole sa vie privé, le respect de son identité, son droit à la filiation, celui de son enfant … Est-ce possible ? Comment s’y prendre ?

Il va falloir demander au juge de ne pas appliquer la loi ou de l’appliquer partiellement en lui demandant d’opérer un contrôle de conventionalité. Le moyen d’inconventionnalité n’est pas beaucoup soulevé en droit de la famille (de fait, aussi faut-il un dossier qui s’y prête et que ce moyen soit valablement soulevé).

  1. Qu’est-ce qu’un contrôle de conventionalité ?

Le contrôle de conventionalité permet au juge d’examiner si l’application de la loi nationale porte ou non une atteinte disproportionnée à un droit jugé fondamental garanti par la CEDH (Convention Européenne des droits de l’homme) ou par la CIDE (Convention internationale des droits de l’enfant). Dans cet article, je développerai particulièrement le recours à l’article 8 de la CEDH sur lequel je reviendrai plus en détail dans le développement de la méthode du contrôle.

 Ce contrôle de conventionnalité par les juges du fond a été consacré par le Conseil constitutionnel en 2010 :

« L’autorité qui s’attache aux décisions du Conseil constitutionnel … ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir [les engagements internationaux] sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution » (considérant 13).

  • Décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010 _ Conseil constitutionnel

Le juge devra ainsi faire primer le respect de ce droit fondamental et écarter la disposition légale du droit français qui, si elle était appliquée, conduirait à y porter une atteinte disproportionnée.  Il faut savoir que le juge doit faire ce contrôle dès lors qu’il y est invité par une des parties, même si l’argument est soulevé de façon maladroite ou partielle.

La Cour de cassation elle-même, via un groupe de travail sur le sujet nous engage à soulever les moyens d’inconventionnalité in concreto :

« Dès lors que les lois sont conçues de manière générale et abstraite, il faut bien que les tribunaux en interprètent le sens et la portée pour les adapter aux situations litigieuses et ils devront même, parfois, aller au-delà, pour « inventer » la solution juridique du procès, puisque le code civil lui-même, en son article 4, oblige le juge à statuer, sous peine de déni de justice, en cas de « silence », « obscurité » ou « insuffisance de la loi ».

  • Rapport du groupe de travail de la Cour de cassation sur le contrôle de conventionnalité de 2020

Il existe deux types de contrôle de conventionalité :

-Le contrôle in abstracto : est-ce que la norme nationale en elle-même, sans tenir compte des circonstances spécifiques d’un cas particulier, contrevient à l’article 8 ou tout autre droit fondamental issu de normes internationales ?

-Le contrôle in concreto : est-ce que l’application de la norme respecte les droits et libertés garantis par les normes internationales dans les circonstances spécifiques de l’affaire ?

C’est le plus souvent le contrôle in concreto qui va nous intéresser et qui va exiger que le juge fasse un contrôle de proportionnalité.

Ce contrôle va s’exercer en cascade et en 5 étapes : chaque étape doit être validée avant de passer à la suivante. A défaut, le moyen d’inconventionnalité est rejeté. En procédant à l’examen de chaque étape, on consolide son dossier et on va affiner sa prétention.

  1. Est-ce que c’est bien l’article 8 de la CEDH dont on demande la protection, quel est précisément le droit invoqué ?
  2. Quelle est l’ingérence de l’état dans l’exercice de ce droit ? comment se manifeste-t-elle ?
  3. Quelle est la base légale de l’ingérence ?
  4. Quelle est la légitimité du but poursuivi par l’ingérence ?
  5. Si on est bien dans le cas d’une ingérence légitime, à ce moment-là, on demande au juge :

– si on est en demande, de constater qu’il y a une disproportion entre le but poursuivi par le législateur et l’atteinte au droit allégué 

-si on est en défense, qu’au contraire, il n’y en a pas

Ainsi avant de commencer à expliquer précisément en quoi la mesure contestée porte atteinte de façon excessive à un droit garanti par l’article 8 dans notre cas spécifique, soit l’examen du contrôle de proportionnalité en lui-même, il faudra respecter 4 étapes que la Cour de cassation demande au juge de bien vérifier. Autant faciliter la tâche du juge et le faire. Et si on est défendeur au moyen, il vaudra mieux s’assurer que le juge l’a fait sinon, l’arrêt encourra une cassation.

En droit de la famille, on pourra avoir besoin de recourir à la protection de l’article 8 CEDH en matière d’adoption, d’annulation d’adoption, d’action en recherche de paternité, garde d’enfant sur le fondement du droit des tiers. A nous, avocats, de chercher d’autres terrains de jeux…

  1. Comment rédiger ses conclusions pour faire admettre ce contrôle ?

Je suggère de les rédiger comme les propositions de rédaction faites par le groupe de travail de la Cour de cassation à l’attention des juges du fond.

  • Cf Memento du contrôle de conventionnalité au regard de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales 2018

Pour chaque étape, il sera dit quelques mots puis proposé la rédaction suggérée par la Cour de cassation.

  1. Applicabilité de l’article 8 CEDH :  le droit au respect de la vie privée et familiale 
  1. Le texte :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

  • Les contours de l’article 8 :

La CEDH retient une conception extensive de la notion de vie privée.

La protection de la vie privée et familiale, peut englober :

  1. De multiples aspects de l’identité physique et sociale d’un individu, (Mikulić c. Croatie, n o 53176/99, § 34, CEDH 2002-I ; voir aussi l’arrêt Jäggi c. Suisse (no 58757/00, § 37, CEDH 2006-X), dans lequel la Cour a souligné que le droit à l’identité fait partie intégrale de la notion de vie privée et que chacun doit pouvoir établir les détails de son identité d’être humain).
  2. Le droit à la filiation rappelé très récemment par un arrêt CA Paris 16 janvier 2024, « il est constant que le droit au respect de la vie privée et familiale comporte celui d’établir les détails de son identité ce qui inclut le droit de faire établir sa filiation ». Ce droit a été formulé clairement par la CEDH à l’occasion de l’arrêt Menesson CEDH (11 CEDH 5ème sect MENNESSON c. France). Rappelant que le droit à l’identité fait partie intégrale de la notion de vie privée, la CEDH indique « qu’ Il en va ainsi de la filiation dans laquelle s’inscrit chaque individu, ce qu’illustrent les affaires dans lesquelles la Cour a examiné la question de la compatibilité avec le droit au respect de la vie privée de l’impossibilité de faire établir un lien juridique entre un enfant et un parent biologique … Comme dans les affaires de ce type, il y a une « relation directe » (Mikulić, précité, § 36) entre la vie privée des enfants nés d’une gestation pour autrui et la détermination juridique de leur filiation.
  3. Le droit à l’identification sexuelle, au nom, l’orientation sexuelle et la vie sexuelle, 
  4. Le Droit au développement personnel et le droit d’établir et entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur.
  5. L’article 8 peut aussi être invoqué pour contester le non-renouvellement ou la rupture d’un contrat de travail en raison d’événements principalement liés à des choix personnels de nature privée (CEDH Grde ch., 12 juin 2014, Fernández Martínez c. Espagne, n° 56030/07, § 114).
  6. Le droit au respect des décisions de devenir ou de ne pas devenir parent.
  7. La protection de l’image, la protection du domicile, la protection des correspondances, la protection de la réputation, la protection des données à caractère personnel.
  • Rédaction proposée :

Attendu que les faits litigieux entrent dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors qu’est en jeu … (exemples : le droit pour chacun d’établir les détails de son identité d’être humain ; le droit de la personne à la protection de son image), qui constitue l’un des éléments relevant de la sphère personnelle protégée par cette disposition ; 

Si le tribunal valide, le contrôle se poursuit 

  • L’ingérence dans l’exercice du droit
  1. Précision sur l’ingérence passive 

Elle doit aussi être prise en compte (CEDH, Grde ch., 12 juin 2014, Fernández Martínez c. Espagne, n° 56030/07, § 114).

« Si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes au respect effectif de la vie privée », lesquelles « peuvent nécessiter l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux ».

Dans l’exemple du droit à établir sa filiation, cela signifie que pour permettre à chaque personne de pouvoir établir sa filiation en toute circonstance, il ne doit pas y avoir de vide juridique. Parfois, on a un cadre juridique dans lequel n’entre pas la situation de certains sujets de droit/ enfants. Que faire lorsque l’Etat n’a pas prévu de solution pour qu’ils puissent établir leur filiation ? On considèrera que l’ingérence résulte de l’absence de disposition prise par l’Etat à cet égard.

  • Rédaction

« Que la mesure contestée ou le rejet de la demande constitue une ingérence dans l’exercice du droit de chacun au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, en tant que… ; par exemple :

– l’impossibilité de faire reconnaître son lien de filiation parce qu’il existe une prescription (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 9 novembre 2016, 15-25.068, Publié au bulletin – Légifrance),

 – l’annulation d’une adoption demandée dans le cadre de la tierce opposition (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 juin 2019, 18-19.100, Publié au bulletin – Légifrance)

Si le Tribunal valide, le contrôle se poursuit

Dans les deux exemples ci-dessus cités, les ingérences résultent de dispositions légales.

  • La base légale de l’ingérence

Quel est le texte de droit interne ou jurisprudence constante sur lequel est fondé l’ingérence ?

  1. Rédaction

« Et  que cette ingérence est prévue par la loi, en ce qu’elle est fondée sur par exemple dans les deux cas précédent :

– l’article du code civil prévoyant la prescription des actions relatives à la filiation,

 -l’article  du code prévoyant l’annulation de l’adoption, texte / cette jurisprudence

présentant, à l’égard de la personne concernée, l’accessibilité, la clarté et la prévisibilité requises par la Convention ; »

  • Cas de l’ingérence passive

Par exemple le refus d’une demande parce qu’aucune disposition n’a été prise (silence de la loi, vide juridique). La base de l’ingérence est plus délicate à formuler. Disons qu’elle est en creux et qu’il faut spécifier que l’absence de texte constitue l’ingérence comme l’a fait la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 16 janvier 2024 ( cf plus bas)

Si le tribunal valide, le contrôle se poursuit

  • La légitimité du but poursuivi
  1. Liste des buts légitimes

Il appartient au juge d’analyser la disposition légale au regard des buts admissibles définis par la Convention elle-même ou la jurisprudence de la Cour EDH.

Parmi les buts légitimes admissibles, figurent notamment :

La protection des droits et libertés d’autrui, celle de la santé publique et de l’environnement, la recherche de la sécurité des personnes et des biens, la satisfaction de l’intérêt général et l’utilité publique, les conditions d’accès à la justice, le bon fonctionnement de l’institution judiciaire, l’équité du procès et le droit au jugement rendu dans un délai raisonnable. (Voir la liste de l’article  8 qui est exhaustive selon la CEDH)

  • Rédaction 

« Et    que l’ingérence, (même passive)  vise à … ; qu’ ainsi, elle poursuit un but légitime, au sens du second paragraphe de l’article 8 de la Convention ; »

Si le tribunal valide, le contrôle se poursuit.

  • Le contrôle de proportionnalité proprement dit
  1. Contrôle étendu pour les droits« relevant de la clause d’ordre public »

Pour les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion), 10 (liberté d’expression) et 11 (liberté de réunion et d’association) parce que les articles qui les énoncent prévoient, dans leur second paragraphe, que les autorités nationales ont la faculté d’apporter des restrictions à leur exercice.

  1. Contrôle de l’adéquation de la mesure à l’objectif poursuivi :   est-ce que c’est cohérent ? Le contrôle est sommaire.
  1. Contrôle de la nécessité de la mesure : est-ce que la mesure est nécessaire à la réalisation du but poursuivi ? Est-ce qu’il n’existait pas des moyens moins contraignants pour atteindre cet objectif ? Ou, autrement dit, que soit exclue « la possibilité de recourir à une autre mesure portant moins gravement atteinte au droit fondamental en cause et permettant d’arriver au même but » ?

Exemple de ces deux contrôles dans des décisions :

 « Que cette procédure est strictement réglementée par la loi française ; qu’en effet, elle est conçue de façon restrictive en matière d’adoption, dans un but de sécurité et de stabilité de la filiation adoptive, n’étant ouverte que si le demandeur établit l’existence d’un dol ou d’une fraude imputable aux adoptants ; qu’ainsi conçue, elle est une mesure nécessaire pour parvenir au but poursuivi et adéquate au regard de cet objectif. »  Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 juin 2019, 18-19.100, Publié au bulletin – Légifrance Légifrance

  1. Contrôle de proportionnalité au sens strict, enfin, apprécié in concreto, revenant à vérifier que :

–  la mesure considérée n’impose pas à la personne concernée des charges démesurées par rapport au résultat recherché (CEDH, 24 janvier 2017, Paradiso et Campanelli c. Italie, n° 25358/12. En ce sens également : CEDH, 18 janvier 2018, FNASS et autres c. France, n° 48151/11 et 77769/13 ; 28 mai 1985, Ashingdane c. Royaume-Uni, n° 8225/78 ; 14 décembre 2006, Markovic et autres c. Italie, n° 1398/03) 

–  d’examiner si « un juste équilibre entre les différents intérêts en présence » a été ménagé, la Cour EDH ayant, dans certains cas, défini les critères pertinents à prendre en considération pour procéder à cette mise en balance mesure au regard du but recherché.

  • Rédaction

« Que dans notre cas concrètement, la mise en oeuvre de ce texte porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé, au regard du but légitime poursuivi et, en particulier, un juste équilibre n’étant pas ménagé entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu » Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 juin 2019, 18-19.100, Publié au bulletin – Légifrance

« Que dans le cas d’espèce, la mesure contestée porte une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale de…, au regard du but légitime poursuivi, dès lors que..

– (on développe les atteintes)

Exemples tirés de décisions :

« Attendu que l’arrêt relève que (on part alors sur les constatations, les éléments de fait, les atteintes en elles-mêmes) :

  • l’adoptant a sciemment dissimulé des informations essentielles à la juridiction saisie de la demande d’adoption, pour détourner la procédure à des fins successorales et consacrer une relation amoureuse ;
  • qu’il constate que Mmes I…-W…,qui étaient âgées de 22 ans lorsqu’elles ont fait la connaissance de X… I…, n’ont pas été éduquées ou élevées par lui et ont été accueillies chez lui dans des conditions très particulières, notamment pendant le temps du mariage et sans l’accord de son épouse ;
  • qu’il énonce que l’adoption a été annulée neuf ans après son prononcé mais trois ans seulement après le décès de l’adoptant, date à laquelle les enfants issus de son mariage en ont eu connaissance ;
  • que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu déduire que l’annulation de l’adoption ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mmes I…-W… ; »
  1. Exemples de décisions de Cour de Cassation, de Cour d’appel et de 1ère instance où l’on retrouve la méthode du contrôle. C’est sur ces arrêts que le Memento de 2018 a été rédigé.

Civ 1, 9 novembre 2016, 15-25.068 : sur une action en recherche de paternité prescrite 

La méthodologie est rappelée par la Cour de Cassation qui apprécie le contrôle de conventionalité effectué par la cour d’appel et qui considère qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’application de la norme française.

Civ 1, 13 juin 2019, 18-19.100 : sur une demande d’annulation d’une adoption par la voie de la tierce opposition. La Cour de cassation applique de la méthodologie. Le contrôle de conventionalité est apprécié par la cour qui considère qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’application de la norme française.

Civ 1, 21 mars 2018, 16-28.741 : dans une affaire de presse où une photo de Paris Match publiée porte atteinte à la vie privée. La Cour de cassation considère que la Cour d’appel n’a pas opéré correctement le contrôle de conventionalité en ne faisant pas la mise en balance concrète des intérêts en présence, le droit du public à l’information et l’atteinte à la vie privée. En matière de presse, le contrôle est restreint, il est seulement demandé simplement à la Cour d’appel de vérifier s’il y a eu un juste équilibre des intérêts en présence.

Civ 1, 14 oct. 2020, 19-15783 : Au sujet d’une action en recherche de paternité (père bio) alors qu’il existe une filiation adoptive.  La Cour de Cass se substitue à l’appréciation faite par la CA dans la mise en balance des intérêts, la cour estime que la balance n’a pas été correctement faite par la Cour d’appel.

Civ 1, 8 décembre 2016, 15-27.201, Bull. 2016, I, n° 248 : au sujet d’une demande d’annulation d’un mariage entre un beau-père et sa belle-fille alliés en ligne directe.  Annulation accordée, moyen d’inconventionnalité : annulation qui viole l’article 8 CEDH, contrôle opéré selon la méthode, moyen non accueilli au stade du contrôle in concreto.

  1. Question conclusive : le juge a-t-il seulement la possibilité d’écarter une disposition légale ou peut-il créer du droit ?

C’est une question résulte pour moi d’ une affaire où le contrôle de conventionnalité a prospéré en 1ère instance et échoué en appel.

  1. Jugement TJ Paris (adoption) du 29 septembre 2021, non publié.

Le Tribunal a d’abord constaté l’existence d’un vide juridique, puis a établi la filiation de l’enfant à l’égard de la mère sociale, la mère légale refusant de consentir. Pour le tribunal, l’article 8 doit primer. L’enfant doit pouvoir voir sa filiation établie au nom du droit à l’identité. Au regard des éléments de faits soumis, le tribunal, qui fait une mise en balance des intérêts en présence, utilise un article du Code civil, l’article 348-6 pour avoir un fondement juridique lui permettant de prononcer l’adoption, mais décide de ne pas appliquer une condition de cet article (il n’écarte pas toute la loi mais une partie) pour prononcer l’adoption et pour passer outre le consentement de la mère légale. 

  • Arrêt CA Paris 16 janvier 2024 , non publié 

La Cour dit qu’il existe un cadre légal désormais, la loi Limon article 9, mais que la situation de l’enfant n’entre pas dans ce cadre compte tenu des circonstances de faits de sa conception. Elle constate que la loi ne prévoit pas de disposition permettant de prononcer une adoption dans ce dossier (comme l’a fait le Tribunal), constate que l’ingérence existe bel et bien et qu’elle résulte de l’absence de disposition légale pour permettre à l’enfant d’établir sa filiation en toute circonstance et notamment quand la mère refuse de consentir, mais considère que le juge ne pourrait pas créer du droit pour y pallier. Le juge ne pourrait pas supprimer une condition d’un article qui n’aurait pas vocation à s’appliquer pour prononcer l’adoption et permettre la filiation. Il ne pourrait qu’écarter une disposition légale. Ainsi elle rejette du moyen d’inconventionnalité.

Par ailleurs, elle considère que l’adoption demandée n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant (cette recherche de l’intérêt de l’enfant faisant partie de son office en matière d’adoption). (argument qui coupe l’herbe sous le pied de la question de l’atteinte disproportionnée au droit à la filiation de l’enfant).

  • Critique 

La Cour d’appel ne va pas au bout de son raisonnement : elle constate qu’il y a bien une ingérence, que sa base légale est l’incomplétude du dispositif juridique français, mais n’offre pas de solution pour permettre que l’enfant puisse établir sa filiation et décide que le juge ne peut pas créer du droit ou modifier une disposition.

Or en cas d’ingérence passive quand il y a un vide juridique, le juge pour accueillir le moyen d’inconventionnalité, n’a guère d’autres choix que de créer du droit, puisque justement il manque des dispositions juridiques pour garantir l’application de 8. En disant que de toute façon l’adoption n’apparait pas conforme à l’intérêt de l’enfant, la difficulté est évincée.

Le Tribunal qui au contraire considérait que l’adoption était conforme à l’intérêt de l’enfant et qu’il y avait une atteinte disproportionnée au droit de l’enfant de voir établie sa filiation a constaté de la même façon le vide juridique et a décidé de ne pas appliquer une condition légale dont l’application aurait conduit à ne pas pouvoir passer outre le consentement de la mère légale (ce que la Cour d’appel  considère être une modification de la loi qui ne fait pas partie de ses attributions).

Qui sait vraiment qui du Tribunal ou de la Cour a raison :  l’affaire est allée en cassation on peut imaginer que le sujet va porter sur cette question. Peut-on créer du droit quand on fait un contrôle de conventionalité ?

Droit de la famille, des personnes et du patrimoine

Invoquer l’article 8 de la CEDH devant les juridictions nationales dans le cadre d’un contrôle de conventionalité en droit de la famille

Faire écarter une prescription ou une disposition légale qui empêche la demande de  notre client d’être accueillie favorablement, demande dont nous pressentons l’extrême injustice de ne la voir aboutir.  C’est telle disposition, telle prescription qui viole sa vie privé, le respect de son identité, son droit à la filiation, celui de son enfant … Est-ce possible ? Comment s’y prendre ?

Il va falloir demander au juge de ne pas appliquer la loi ou de l’appliquer partiellement en lui demandant d’opérer un contrôle de conventionalité. Le moyen d’inconventionnalité n’est pas beaucoup soulevé en droit de la famille (de fait, aussi faut-il un dossier qui s’y prête et que ce moyen soit valablement soulevé).

  1. Qu’est-ce qu’un contrôle de conventionalité ?

Le contrôle de conventionalité permet au juge d’examiner si l’application de la loi nationale porte ou non une atteinte disproportionnée à un droit jugé fondamental garanti par la CEDH (Convention Européenne des droits de l’homme) ou par la CIDE (Convention internationale des droits de l’enfant). Dans cet article, je développerai particulièrement le recours à l’article 8 de la CEDH sur lequel je reviendrai plus en détail dans le développement de la méthode du contrôle.

 Ce contrôle de conventionnalité par les juges du fond a été consacré par le Conseil constitutionnel en 2010 :

« L’autorité qui s’attache aux décisions du Conseil constitutionnel … ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir [les engagements internationaux] sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution » (considérant 13).

  • Décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010 _ Conseil constitutionnel

Le juge devra ainsi faire primer le respect de ce droit fondamental et écarter la disposition légale du droit français qui, si elle était appliquée, conduirait à y porter une atteinte disproportionnée.  Il faut savoir que le juge doit faire ce contrôle dès lors qu’il y est invité par une des parties, même si l’argument est soulevé de façon maladroite ou partielle.

La Cour de cassation elle-même, via un groupe de travail sur le sujet nous engage à soulever les moyens d’inconventionnalité in concreto :

« Dès lors que les lois sont conçues de manière générale et abstraite, il faut bien que les tribunaux en interprètent le sens et la portée pour les adapter aux situations litigieuses et ils devront même, parfois, aller au-delà, pour « inventer » la solution juridique du procès, puisque le code civil lui-même, en son article 4, oblige le juge à statuer, sous peine de déni de justice, en cas de « silence », « obscurité » ou « insuffisance de la loi ».

  • Rapport du groupe de travail de la Cour de cassation sur le contrôle de conventionnalité de 2020

Il existe deux types de contrôle de conventionalité :

-Le contrôle in abstracto : est-ce que la norme nationale en elle-même, sans tenir compte des circonstances spécifiques d’un cas particulier, contrevient à l’article 8 ou tout autre droit fondamental issu de normes internationales ?

-Le contrôle in concreto : est-ce que l’application de la norme respecte les droits et libertés garantis par les normes internationales dans les circonstances spécifiques de l’affaire ?

C’est le plus souvent le contrôle in concreto qui va nous intéresser et qui va exiger que le juge fasse un contrôle de proportionnalité.

Ce contrôle va s’exercer en cascade et en 5 étapes : chaque étape doit être validée avant de passer à la suivante. A défaut, le moyen d’inconventionnalité est rejeté. En procédant à l’examen de chaque étape, on consolide son dossier et on va affiner sa prétention.

  1. Est-ce que c’est bien l’article 8 de la CEDH dont on demande la protection, quel est précisément le droit invoqué ?
  2. Quelle est l’ingérence de l’état dans l’exercice de ce droit ? comment se manifeste-t-elle ?
  3. Quelle est la base légale de l’ingérence ?
  4. Quelle est la légitimité du but poursuivi par l’ingérence ?
  5. Si on est bien dans le cas d’une ingérence légitime, à ce moment-là, on demande au juge :

– si on est en demande, de constater qu’il y a une disproportion entre le but poursuivi par le législateur et l’atteinte au droit allégué 

-si on est en défense, qu’au contraire, il n’y en a pas

Ainsi avant de commencer à expliquer précisément en quoi la mesure contestée porte atteinte de façon excessive à un droit garanti par l’article 8 dans notre cas spécifique, soit l’examen du contrôle de proportionnalité en lui-même, il faudra respecter 4 étapes que la Cour de cassation demande au juge de bien vérifier. Autant faciliter la tâche du juge et le faire. Et si on est défendeur au moyen, il vaudra mieux s’assurer que le juge l’a fait sinon, l’arrêt encourra une cassation.

En droit de la famille, on pourra avoir besoin de recourir à la protection de l’article 8 CEDH en matière d’adoption, d’annulation d’adoption, d’action en recherche de paternité, garde d’enfant sur le fondement du droit des tiers. A nous, avocats, de chercher d’autres terrains de jeux…

  1. Comment rédiger ses conclusions pour faire admettre ce contrôle ?

Je suggère de les rédiger comme les propositions de rédaction faites par le groupe de travail de la Cour de cassation à l’attention des juges du fond.

  • Cf Memento du contrôle de conventionnalité au regard de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales 2018

Pour chaque étape, il sera dit quelques mots puis proposé la rédaction suggérée par la Cour de cassation.

  1. Applicabilité de l’article 8 CEDH :  le droit au respect de la vie privée et familiale 
  1. Le texte :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

  • Les contours de l’article 8 :

La CEDH retient une conception extensive de la notion de vie privée.

La protection de la vie privée et familiale, peut englober :

  1. De multiples aspects de l’identité physique et sociale d’un individu, (Mikulić c. Croatie, n o 53176/99, § 34, CEDH 2002-I ; voir aussi l’arrêt Jäggi c. Suisse (no 58757/00, § 37, CEDH 2006-X), dans lequel la Cour a souligné que le droit à l’identité fait partie intégrale de la notion de vie privée et que chacun doit pouvoir établir les détails de son identité d’être humain).
  2. Le droit à la filiation rappelé très récemment par un arrêt CA Paris 16 janvier 2024, « il est constant que le droit au respect de la vie privée et familiale comporte celui d’établir les détails de son identité ce qui inclut le droit de faire établir sa filiation ». Ce droit a été formulé clairement par la CEDH à l’occasion de l’arrêt Menesson CEDH (11 CEDH 5ème sect MENNESSON c. France). Rappelant que le droit à l’identité fait partie intégrale de la notion de vie privée, la CEDH indique « qu’ Il en va ainsi de la filiation dans laquelle s’inscrit chaque individu, ce qu’illustrent les affaires dans lesquelles la Cour a examiné la question de la compatibilité avec le droit au respect de la vie privée de l’impossibilité de faire établir un lien juridique entre un enfant et un parent biologique … Comme dans les affaires de ce type, il y a une « relation directe » (Mikulić, précité, § 36) entre la vie privée des enfants nés d’une gestation pour autrui et la détermination juridique de leur filiation.
  3. Le droit à l’identification sexuelle, au nom, l’orientation sexuelle et la vie sexuelle, 
  4. Le Droit au développement personnel et le droit d’établir et entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur.
  5. L’article 8 peut aussi être invoqué pour contester le non-renouvellement ou la rupture d’un contrat de travail en raison d’événements principalement liés à des choix personnels de nature privée (CEDH Grde ch., 12 juin 2014, Fernández Martínez c. Espagne, n° 56030/07, § 114).
  6. Le droit au respect des décisions de devenir ou de ne pas devenir parent.
  7. La protection de l’image, la protection du domicile, la protection des correspondances, la protection de la réputation, la protection des données à caractère personnel.
  • Rédaction proposée :

Attendu que les faits litigieux entrent dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors qu’est en jeu … (exemples : le droit pour chacun d’établir les détails de son identité d’être humain ; le droit de la personne à la protection de son image), qui constitue l’un des éléments relevant de la sphère personnelle protégée par cette disposition ; 

Si le tribunal valide, le contrôle se poursuit 

  • L’ingérence dans l’exercice du droit
  1. Précision sur l’ingérence passive 

Elle doit aussi être prise en compte (CEDH, Grde ch., 12 juin 2014, Fernández Martínez c. Espagne, n° 56030/07, § 114).

« Si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes au respect effectif de la vie privée », lesquelles « peuvent nécessiter l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux ».

Dans l’exemple du droit à établir sa filiation, cela signifie que pour permettre à chaque personne de pouvoir établir sa filiation en toute circonstance, il ne doit pas y avoir de vide juridique. Parfois, on a un cadre juridique dans lequel n’entre pas la situation de certains sujets de droit/ enfants. Que faire lorsque l’Etat n’a pas prévu de solution pour qu’ils puissent établir leur filiation ? On considèrera que l’ingérence résulte de l’absence de disposition prise par l’Etat à cet égard.

  • Rédaction

« Que la mesure contestée ou le rejet de la demande constitue une ingérence dans l’exercice du droit de chacun au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, en tant que… ; par exemple :

– l’impossibilité de faire reconnaître son lien de filiation parce qu’il existe une prescription (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 9 novembre 2016, 15-25.068, Publié au bulletin – Légifrance),

 – l’annulation d’une adoption demandée dans le cadre de la tierce opposition (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 juin 2019, 18-19.100, Publié au bulletin – Légifrance)

Si le Tribunal valide, le contrôle se poursuit

Dans les deux exemples ci-dessus cités, les ingérences résultent de dispositions légales.

  • La base légale de l’ingérence

Quel est le texte de droit interne ou jurisprudence constante sur lequel est fondé l’ingérence ?

  1. Rédaction

« Et  que cette ingérence est prévue par la loi, en ce qu’elle est fondée sur par exemple dans les deux cas précédent :

– l’article du code civil prévoyant la prescription des actions relatives à la filiation,

 -l’article  du code prévoyant l’annulation de l’adoption, texte / cette jurisprudence

présentant, à l’égard de la personne concernée, l’accessibilité, la clarté et la prévisibilité requises par la Convention ; »

  • Cas de l’ingérence passive

Par exemple le refus d’une demande parce qu’aucune disposition n’a été prise (silence de la loi, vide juridique). La base de l’ingérence est plus délicate à formuler. Disons qu’elle est en creux et qu’il faut spécifier que l’absence de texte constitue l’ingérence comme l’a fait la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 16 janvier 2024 ( cf plus bas)

Si le tribunal valide, le contrôle se poursuit

  • La légitimité du but poursuivi
  1. Liste des buts légitimes

Il appartient au juge d’analyser la disposition légale au regard des buts admissibles définis par la Convention elle-même ou la jurisprudence de la Cour EDH.

Parmi les buts légitimes admissibles, figurent notamment :

La protection des droits et libertés d’autrui, celle de la santé publique et de l’environnement, la recherche de la sécurité des personnes et des biens, la satisfaction de l’intérêt général et l’utilité publique, les conditions d’accès à la justice, le bon fonctionnement de l’institution judiciaire, l’équité du procès et le droit au jugement rendu dans un délai raisonnable. (Voir la liste de l’article  8 qui est exhaustive selon la CEDH)

  • Rédaction 

« Et    que l’ingérence, (même passive)  vise à … ; qu’ ainsi, elle poursuit un but légitime, au sens du second paragraphe de l’article 8 de la Convention ; »

Si le tribunal valide, le contrôle se poursuit.

  • Le contrôle de proportionnalité proprement dit
  1. Contrôle étendu pour les droits« relevant de la clause d’ordre public »

Pour les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion), 10 (liberté d’expression) et 11 (liberté de réunion et d’association) parce que les articles qui les énoncent prévoient, dans leur second paragraphe, que les autorités nationales ont la faculté d’apporter des restrictions à leur exercice.

  1. Contrôle de l’adéquation de la mesure à l’objectif poursuivi :   est-ce que c’est cohérent ? Le contrôle est sommaire.
  1. Contrôle de la nécessité de la mesure : est-ce que la mesure est nécessaire à la réalisation du but poursuivi ? Est-ce qu’il n’existait pas des moyens moins contraignants pour atteindre cet objectif ? Ou, autrement dit, que soit exclue « la possibilité de recourir à une autre mesure portant moins gravement atteinte au droit fondamental en cause et permettant d’arriver au même but » ?

Exemple de ces deux contrôles dans des décisions :

 « Que cette procédure est strictement réglementée par la loi française ; qu’en effet, elle est conçue de façon restrictive en matière d’adoption, dans un but de sécurité et de stabilité de la filiation adoptive, n’étant ouverte que si le demandeur établit l’existence d’un dol ou d’une fraude imputable aux adoptants ; qu’ainsi conçue, elle est une mesure nécessaire pour parvenir au but poursuivi et adéquate au regard de cet objectif. »  Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 juin 2019, 18-19.100, Publié au bulletin – Légifrance Légifrance

  1. Contrôle de proportionnalité au sens strict, enfin, apprécié in concreto, revenant à vérifier que :

–  la mesure considérée n’impose pas à la personne concernée des charges démesurées par rapport au résultat recherché (CEDH, 24 janvier 2017, Paradiso et Campanelli c. Italie, n° 25358/12. En ce sens également : CEDH, 18 janvier 2018, FNASS et autres c. France, n° 48151/11 et 77769/13 ; 28 mai 1985, Ashingdane c. Royaume-Uni, n° 8225/78 ; 14 décembre 2006, Markovic et autres c. Italie, n° 1398/03) 

–  d’examiner si « un juste équilibre entre les différents intérêts en présence » a été ménagé, la Cour EDH ayant, dans certains cas, défini les critères pertinents à prendre en considération pour procéder à cette mise en balance mesure au regard du but recherché.

  • Rédaction

« Que dans notre cas concrètement, la mise en oeuvre de ce texte porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé, au regard du but légitime poursuivi et, en particulier, un juste équilibre n’étant pas ménagé entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu » Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 juin 2019, 18-19.100, Publié au bulletin – Légifrance

« Que dans le cas d’espèce, la mesure contestée porte une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale de…, au regard du but légitime poursuivi, dès lors que..

– (on développe les atteintes)

Exemples tirés de décisions :

« Attendu que l’arrêt relève que (on part alors sur les constatations, les éléments de fait, les atteintes en elles-mêmes) :

  • l’adoptant a sciemment dissimulé des informations essentielles à la juridiction saisie de la demande d’adoption, pour détourner la procédure à des fins successorales et consacrer une relation amoureuse ;
  • qu’il constate que Mmes I…-W…,qui étaient âgées de 22 ans lorsqu’elles ont fait la connaissance de X… I…, n’ont pas été éduquées ou élevées par lui et ont été accueillies chez lui dans des conditions très particulières, notamment pendant le temps du mariage et sans l’accord de son épouse ;
  • qu’il énonce que l’adoption a été annulée neuf ans après son prononcé mais trois ans seulement après le décès de l’adoptant, date à laquelle les enfants issus de son mariage en ont eu connaissance ;
  • que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu déduire que l’annulation de l’adoption ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mmes I…-W… ; »
  1. Exemples de décisions de Cour de Cassation, de Cour d’appel et de 1ère instance où l’on retrouve la méthode du contrôle. C’est sur ces arrêts que le Memento de 2018 a été rédigé.

Civ 1, 9 novembre 2016, 15-25.068 : sur une action en recherche de paternité prescrite 

La méthodologie est rappelée par la Cour de Cassation qui apprécie le contrôle de conventionalité effectué par la cour d’appel et qui considère qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’application de la norme française.

Civ 1, 13 juin 2019, 18-19.100 : sur une demande d’annulation d’une adoption par la voie de la tierce opposition. La Cour de cassation applique de la méthodologie. Le contrôle de conventionalité est apprécié par la cour qui considère qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’application de la norme française.

Civ 1, 21 mars 2018, 16-28.741 : dans une affaire de presse où une photo de Paris Match publiée porte atteinte à la vie privée. La Cour de cassation considère que la Cour d’appel n’a pas opéré correctement le contrôle de conventionalité en ne faisant pas la mise en balance concrète des intérêts en présence, le droit du public à l’information et l’atteinte à la vie privée. En matière de presse, le contrôle est restreint, il est seulement demandé simplement à la Cour d’appel de vérifier s’il y a eu un juste équilibre des intérêts en présence.

Civ 1, 14 oct. 2020, 19-15783 : Au sujet d’une action en recherche de paternité (père bio) alors qu’il existe une filiation adoptive.  La Cour de Cass se substitue à l’appréciation faite par la CA dans la mise en balance des intérêts, la cour estime que la balance n’a pas été correctement faite par la Cour d’appel.

Civ 1, 8 décembre 2016, 15-27.201, Bull. 2016, I, n° 248 : au sujet d’une demande d’annulation d’un mariage entre un beau-père et sa belle-fille alliés en ligne directe.  Annulation accordée, moyen d’inconventionnalité : annulation qui viole l’article 8 CEDH, contrôle opéré selon la méthode, moyen non accueilli au stade du contrôle in concreto.

  1. Question conclusive : le juge a-t-il seulement la possibilité d’écarter une disposition légale ou peut-il créer du droit ?

C’est une question résulte pour moi d’ une affaire où le contrôle de conventionnalité a prospéré en 1ère instance et échoué en appel.

  1. Jugement TJ Paris (adoption) du 29 septembre 2021, non publié.

Le Tribunal a d’abord constaté l’existence d’un vide juridique, puis a établi la filiation de l’enfant à l’égard de la mère sociale, la mère légale refusant de consentir. Pour le tribunal, l’article 8 doit primer. L’enfant doit pouvoir voir sa filiation établie au nom du droit à l’identité. Au regard des éléments de faits soumis, le tribunal, qui fait une mise en balance des intérêts en présence, utilise un article du Code civil, l’article 348-6 pour avoir un fondement juridique lui permettant de prononcer l’adoption, mais décide de ne pas appliquer une condition de cet article (il n’écarte pas toute la loi mais une partie) pour prononcer l’adoption et pour passer outre le consentement de la mère légale. 

  • Arrêt CA Paris 16 janvier 2024 , non publié 

La Cour dit qu’il existe un cadre légal désormais, la loi Limon article 9, mais que la situation de l’enfant n’entre pas dans ce cadre compte tenu des circonstances de faits de sa conception. Elle constate que la loi ne prévoit pas de disposition permettant de prononcer une adoption dans ce dossier (comme l’a fait le Tribunal), constate que l’ingérence existe bel et bien et qu’elle résulte de l’absence de disposition légale pour permettre à l’enfant d’établir sa filiation en toute circonstance et notamment quand la mère refuse de consentir, mais considère que le juge ne pourrait pas créer du droit pour y pallier. Le juge ne pourrait pas supprimer une condition d’un article qui n’aurait pas vocation à s’appliquer pour prononcer l’adoption et permettre la filiation. Il ne pourrait qu’écarter une disposition légale. Ainsi elle rejette du moyen d’inconventionnalité.

Par ailleurs, elle considère que l’adoption demandée n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant (cette recherche de l’intérêt de l’enfant faisant partie de son office en matière d’adoption). (argument qui coupe l’herbe sous le pied de la question de l’atteinte disproportionnée au droit à la filiation de l’enfant).

  • Critique 

La Cour d’appel ne va pas au bout de son raisonnement : elle constate qu’il y a bien une ingérence, que sa base légale est l’incomplétude du dispositif juridique français, mais n’offre pas de solution pour permettre que l’enfant puisse établir sa filiation et décide que le juge ne peut pas créer du droit ou modifier une disposition.

Or en cas d’ingérence passive quand il y a un vide juridique, le juge pour accueillir le moyen d’inconventionnalité, n’a guère d’autres choix que de créer du droit, puisque justement il manque des dispositions juridiques pour garantir l’application de 8. En disant que de toute façon l’adoption n’apparait pas conforme à l’intérêt de l’enfant, la difficulté est évincée.

Le Tribunal qui au contraire considérait que l’adoption était conforme à l’intérêt de l’enfant et qu’il y avait une atteinte disproportionnée au droit de l’enfant de voir établie sa filiation a constaté de la même façon le vide juridique et a décidé de ne pas appliquer une condition légale dont l’application aurait conduit à ne pas pouvoir passer outre le consentement de la mère légale (ce que la Cour d’appel  considère être une modification de la loi qui ne fait pas partie de ses attributions).

Qui sait vraiment qui du Tribunal ou de la Cour a raison :  l’affaire est allée en cassation on peut imaginer que le sujet va porter sur cette question. Peut-on créer du droit quand on fait un contrôle de conventionalité ?

INVOQUER LE DROIT A LA VIE PRIVEE DEVANT UN JUGE DU FOND